Face à la multiplication des moyens de paiements numériques, la Commission européenne a présenté le projet d’un « euro numérique ». Ce dernier serait entièrement contrôlé par la Banque Centrale Européenne (BCE). Ce plan a pour ambition de « garantir aux citoyens et aux entreprises de pouvoir continuer à accéder aux billets et aux pièces en euros et à les utiliser dans toute la zone euro ». Quid de la mise en œuvre d’un tel projet et des risques pour la protection de la vie privée ?
La digitalisation des moyens de paiement qui s’est développée ces dernières années accélère la disparition des espèces sonnantes et trébuchantes. La confiance des acteurs dans le système monétaire actuel est principalement fondée sur la garantie de pouvoir convertir en monnaie légale les fonds déposés sur tout compte bancaire. La Banque Centrale Européenne (BCE) s’est donc légitimement inquiétée de l’éventuelle disparition de l’argent liquide qui reste encore un élément déterminant du système mis en place avec l’euro.
Pour accompagner ce phénomène de digitalisation monétaire qui peut être perçu comme un danger, la Commission européenne a conçu un programme de lancement d’une version numérique de la monnaie européenne, l’euro numérique. Ni nouvelle monnaie, ni cryptomonnaie publique, il s’agirait plutôt d’une version numérique de l’argent liquide. Cet euro numérique sera censé se substituer aux espèces dont l’utilisation se réduira inévitablement au fil du temps. Selon la Commission, ce projet monétaire comporterait tous les avantages d’une cryptomonnaie classique. Il viserait à « garantir aux citoyens et aux entreprises de pouvoir continuer à accéder aux billets et aux pièces en euros et à les utiliser dans toute la zone euro ».
La communication officielle de la Commission de Bruxelles est intangible : « L’euro reste un symbole de l’unité et de la force de l’Europe. Dans l’ensemble de la zone euro et au-delà, depuis plus de vingt ans, les citoyens et les entreprises sont habitués à payer avec des pièces et des billets en euros. »
Cependant, avec la tendance au paiement digitalisé qui s’est accentuée durant la pandémie de covid-19, la Commission affirme également : « Alors que 60% des personnes interrogées souhaiteraient continuer à avoir la possibilité d’utiliser des espèces, un nombre croissant de personnes choisissent de payer numériquement, en utilisant des cartes et des applications émises par les banques et d’autres sociétés numériques et financières. ». Pour tenir compte de ces tendances, Bruxelles a préconisé « deux mesures qui se renforcent mutuellement pour faire en sorte que les gens disposent à la fois d’options de paiement en espèces et d’options de paiement numérique ». Sans nouveauté particulière, la première repose sur « une proposition législative sur le cours légal de l’euro en espèces afin de préserver son rôle en restant facilement accessible aux particuliers et aux entreprises dans l’ensemble de la zone euro ». Quant à la seconde mesure, elle constitue la pierre angulaire de cette réforme. En effet, elle vise à instituer « le cadre juridique d’un éventuel euro numérique en complément des billets et pièces en euros ». Possédant une trace informatique, l’euro numérique permettrait le contrôle de toutes les transactions par les autorités publiques, à l’instar de n’importe quelle monnaie fiduciaire.
Selon la Commission, l’euro numérique « offrirait aux particuliers et aux entreprises une option supplémentaire, en plus des options privées actuelles, leur permettant de payer numériquement avec une forme de monnaie publique largement acceptée, bon marché, sûre et résiliente dans la zone euro ». Mais face à l’utilisation largement répandue des paiements numériques privés, on peut se demander à quel besoin un euro numérique est censé répondre. Bruxelles précise : « Une fois la proposition adoptée par le Parlement européen et le Conseil européen, la Banque Centrale Européenne décidera en dernier ressort de l’émission de l’euro numérique et du moment où elle aura lieu. Comme l’argent liquide aujourd’hui, l’euro numérique serait disponible à côté des moyens de paiement privés nationaux et internationaux existants, comme les cartes ou les applications. » En conséquence, l’euro digitalisé fonctionnerait sur le modèle d’un portefeuille numérique ou « digital wallet ». La Commission ajoute « qu’il serait disponible pour les paiements en ligne et hors ligne, c’est-à-dire que les paiements pourraient être effectués d’un appareil à l’autre sans connexion internet ». Ainsi, les transactions en ligne seraient garanties par le même niveau de confidentialité des données que les moyens de paiement numériques actuels.
Pour Bruxelles, il semble nécessaire de défendre la souveraineté monétaire européenne car, à terme, le développement des crypto-actifs pourrait faire perdre aux banques centrales leur monopole d’offre monétaire. On peut citer l’exemple de Facebook qui a été le premier en 2019 à accélérer la prise de conscience avec le lancement de Lycra, un projet de cryptomonnaie privée.
L’euro numérique apparaît donc comme un nouvel outil offrant aux utilisateurs les mêmes avantages que ceux dont ils bénéficient déjà dans leur vie quotidienne. Cela va des paiements instantanés à l’utilisation de portefeuilles numériques, en passant par les paiements internationaux dont les géants Visa et MasterCard ont le quasi-monopole. En revanche, des atteintes à la Charte européenne des droits de l’Homme relatives au respect de la vie privée, à la protection des données personnelles et au droit de propriété, peuvent légitimement susciter la méfiance des citoyens habitués à l’anonymat du cash.
L’euro numérique doit être conçu avec le souci de procurer une réelle valeur ajoutée. Il devra non seulement permettre les paiements hors ligne mais aussi garantir l’anonymat total pour les petites transactions, à l’instar de ce qui se passe aujourd’hui quand on donne un billet à quelqu’un de son entourage. La vie quotidienne des citoyens serait ainsi véritablement simplifiée, ce qui les inciterait à soutenir le projet. En plus de permettre les paiements automatiques ou des transactions financières plus complexes, l’euro numérique pourrait également favoriser l’inclusion financière de personnes éloignées des produits financiers traditionnels. En novembre 2022, lors de la conférence organisée conjointement par la BCE et la Commission européenne pour annoncer officiellement la création de l’euro numérique, la présidente de la BCE, Christine Lagarde, l’a clairement affirmé : « L’euro numérique n’est pas qu’un projet autonome, limité au domaine des paiements, il s’agit plutôt d’une initiative transpolitique et véritablement européenne, susceptible d’avoir une incidence sur la société dans son ensemble. ». Beaucoup attendent donc impatiemment de voir.