Tout en modifiant la façon de penser en matière de santé, la pandémie a révélé les failles des systèmes de soins. Ainsi, des questions sur le rôle de la technologie ont été soulevées et des préoccupations éthiques se sont faites jour, toutes principalement liées à la répartition des richesses et à son impact sur la santé mondiale. Issus de 7 pays européens, 22 professionnels travaillant dans divers domaines comme la médecine, le monde universitaire et l’élaboration de politiques, ont été sollicités pour réfléchir aux principales tendances de la médecine du futur.
Vingt-deux professionnels venus de sept pays européens ont étudié les évolutions futures du secteur médical dans son ensemble. Ce groupe d’experts était constitué de professionnels de santé, de chercheurs et de prescripteurs en matière de politique publique. Ils ont appliqué la technique d’analyse dite « Delphi à trois tours ». Il s’agit d’une méthode éprouvée permettant de construire un consensus au sein d’un groupe d’experts afin d’avoir la meilleure compréhension possible du sujet traité. Après avoir consulté les avis de leurs pairs, les experts ont harmonisé leurs réponses sur la base de toutes les informations disponibles. Ainsi, les principales tendances du secteur médical ont pu être anticipées à travers différentes étapes à venir.
Aujourd’hui, les produits ou les médicaments sont testés par leur utilisation active d’un large public. Mais les ventes d’appareils électroniques intelligents portatifs vont augmenter grâce aux progrès des capteurs, à l’Intelligence Artificielle (IA) et à la technologie 5G. Dès 2025, les données générées par les appareils personnels seront davantage transférées vers des appareils professionnels. Les médecins pourront alors soigner leurs patients de manière plus globale et clarifier leurs prescriptions.
À court terme, les systèmes de santé financés par l’État vont subir d’énormes tensions. Les systèmes et les acteurs de santé privés devront jouer un rôle de plus en plus important dans de nombreuses régions du monde. L’innovation sera stimulée par le secteur privé qui pourra s’appuyer non seulement sur des capteurs intelligents largement répandus, mais aussi sur des dossiers numériques individuels et des registres facilement accessibles grâce à la technologie blockchain.
En outre, les experts prévoient que l’impact du changement climatique crée de nouveaux problèmes de santé, notamment dans les zones les plus vulnérables du globe. Pour répondre à l’accentuation des migrations locales et internationales, les prestataires de soins auront pour mission essentielle de combattre la malnutrition et de pallier le manque d’eau potable.
À moyen terme, de nouvelles découvertes sur le génome humain pourraient booster le développement d’une médecine personnalisée. Les futures pathologies des patients seront mieux anticipées et les médecins seront à même de se préparer au déclenchement d’une éventuelle maladie génétique. Des avancées remarquables présagent d’un potentiel considérable. Les experts citent l’exemple des thérapies ciblées contre le cancer comme l’utilisation du trastuzumab (Herceptin). Ce médicament est destiné aux patientes atteintes d’un cancer du sein qui présentent un patrimoine génétique spécifique.
Autre exemple mis en avant dans l’expertise, l’utilisation de la pharmacogénomique. Il s’agit de l’étude sur la façon dont les gènes conditionnent la réponse d’une personne aux médicaments. Grâce à la prise en compte du profil génétique du patient, les médecins pourront doser avec précision le médicament pour un maximum d’efficacité et avec des effets secondaires minimes. Il faut savoir que la warfarine, un anticoagulant qui prévient crises cardiaques, accidents vasculaires cérébraux et caillots sanguins, est déjà prescrit de cette façon.
Grâce aux nouvelles technologies, les spécialistes pourront traiter avec une extrême précision des parties très réduites du corps humain en diminuant de façon importante les effets secondaires. Idem pour les complications liées à des traitements moins localisés. Selon toute vraisemblance, l’utilisation des nanoparticules devrait être largement répandue, notamment avec le microdosage comme moyen d’administration de médicaments personnalisés.
Malheureusement, les soins de santé de haute technologie et leurs remèdes extrêmement efficaces coûteront toujours plus chers et resteront réservés aux plus privilégiés.
Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), le réchauffement climatique pourrait coûter la vie à environ 250.000 personnes par an d’ici à 2030. Ce risque sanitaire ne pourra qu’aggraver les inégalités d’accès aux soins de santé. En effet, toute catastrophe naturelle (inondations, vagues de chaleur...) frappe toujours plus violemment les populations défavorisées en manque de ressources pour y faire face. Dans cette perspective, les infrastructures de soins seront soumises à rude épreuve, ce qui provoquera d’énormes disparités dans l’accès aux soins.
De plus, le phénomène des migrations forcées fera peser une charge supplémentaire sur tous les systèmes de santé des zones géographiques accueillant les migrants climatiques. À cause des barrières sociales, économiques et linguistiques, tous ces migrants connaitront des difficultés d’accès aux soins. Pour faire face à ces défis plutôt alarmants, les experts préconisent une nécessaire mise en œuvre, dans les 10 à 15 ans, de stratégies de soins suffisamment solides et flexibles.
Ils mettent par ailleurs en garde sur les avancées technologiques qui, à long terme, risqueraient de diminuer en efficacité pour des patients issus des minorités ethniques. Pour les experts issus de la recherche médicale, cela s’expliquerait par le manque de diversité dans les essais cliniques des médicaments qui démontrent déjà aujourd’hui une moindre efficacité sur une population élargie. Ils citent ainsi l’exemple emblématique du BiDil, un médicament contre l’insuffisance cardiaque. Cette molécule a été testée prioritairement sur une population à majorité blanche, mais sans succès. Étonnamment, le BiDil s’est ensuite avéré efficace chez les Afro-Américains. Tant et si bien qu’il est devenu, en 2005, le premier médicament « racial » approuvé aux États-Unis par la Food and Drug Administration (FDA). Mais selon eux, cette tendance devrait progressivement disparaître dans les deux à trois décennies qui viennent. En effet, ils prévoient que les entreprises de soins adapteront peu à peu leurs traitements aux malades socialement et économiquement défavorisés, ainsi qu’aux groupes ethniques minoritaires. Pour ce faire, des technologies de suivi portatives apparaîtront sur le marché et démontreront toute leur efficacité pour ces catégories de patients. Les experts ajoutent que ces technologies permettront une approche plus « prédictive » des soins de santé.
Le vieillissement de la population est un défi aux conséquences importantes sur tous les systèmes de santé. Les maladies liées à l’âge comme les troubles neurodégénératifs, l’ostéoporose et certains types de cancers, devraient fortement augmenter. Les services de santé subiront de plein fouet cette évolution qui va nécessiter des changements importants dans la manière dont les soins seront dispensés. Ainsi, parallèlement aux mesures préventives, au dépistage précoce et à la gestion des maladies chroniques, il faudra mettre en place des environnements et des services de soins adaptés au grand âge.
Au fil du temps, certains profiteront des moyens de prolonger leur longévité et d’améliorer leur qualité de vie quand d’autres subiront des inconvénients sanitaires importants, résultant notamment du changement climatique. Alors que les médecins généralistes seront en mesure d’avoir une vision transversale de l’état de santé d’un patient âgé, les spécialistes pourront plus facilement lui prescrire des traitements ciblés. Dans cette perspective, la problématique des soins personnels deviendra centrale tout au long de la vie. Le choix du mode de vie reflétera autant le statut social que les capacités financières d’une personne. Une nouvelle industrie commerciale de la santé a toutes les chances de prospérer sur les défis de la vie moderne.