La « PropTech » désigne l’ensemble des start-ups fournissant des produits innovants et technologiques pour les marchés immobiliers. En 2020, PropTech House comptabilisait près de 3.000 start-ups dans toute l’Europe. Mais, après un très bon cru 2022, marqué par des levées de fonds record de 465 millions d’euros, la récente enquête diligentée par l’institut Xerfi a révélé un changement important. En 2023, les acteurs traditionnels de l’immobilier et du BTP ayant étant fragilisés, on a assisté à un net recul des investissements dans la PropTech.
Après avoir longtemps misé sur une baisse des prix, les investisseurs immobiliers subissent de plein fouet la vague inflationniste qui accompagne la hausse des taux d’intérêt. Aussi, depuis peu les jeunes pousses de la PropTech ne semblent pas épargner par cette mauvaise conjoncture économique. Ces start-ups, qui fournissent des produits innovants, technologiques ou des modèles nouveaux aux marchés immobiliers, étaient pourtant promises à un bel avenir par les experts économiques jusqu’en 2022. Début 2023, les prix des logements ont subitement cessé de croître après plusieurs années de hausses successives, avec une baisse de 1% en moyenne sur l’ensemble de l’Hexagone. Au cours du premier semestre, on a même assisté à un recul moyen des prix de 3,3% en Île-de-France. Cependant, la baisse actuelle des prix immobiliers doit être relativisée à la vue des nombreuses hausses qui l’ont précédée. Si une moins-value de 1% a été relevée en 2023, il faut se rappeler les 30% de plus-value entre 2013 et 2023 selon l’INSEE.
Observée également au-delà des frontières françaises, cette tendance baissière fait que certains s’imaginent déjà au commencement d’une nouvelle fièvre acheteuse sur le marché de l’immobilier. En Allemagne par exemple, le retournement du marché avait débuté entre le premier trimestre 2021 et la fin du premier trimestre 2023, avec des prix en chute de 6,8% selon l’office fédéral Destatis. Il s’agit là de la plus forte baisse enregistrée depuis l’an 2000. Selon l’agence Reuters, outre-Atlantique, les prix moyens des logements ont connu une baisse supérieure à 5% au cours de l’année 2023. Bien que la tendance soit largement relayée par les médias, elle semble laisser de marbre les investisseurs. Fin septembre 2023, le président de la Maison de l’investisseur, Stéphane Desquartiers, livrait une explication face à cette réaction apathique : « Le marché aujourd’hui est très ralenti. Il y a du choix, il y a du stock et en même temps… les acheteurs sont fébriles. ».
Les acquéreurs potentiels sont aujourd’hui confrontés à l’inflation galopante qui provoque une baisse rapide de leur pouvoir d’achat. De plus, la hausse des taux d’intérêt directeurs décrétée par la Banque Centrale Européenne (BCE) entraine inévitablement le renchérissement du crédit, et par voie de conséquence la réduction du pouvoir d’achat immobilier. C’est ainsi que le volume des ventes sur le marché immobilier français a reculé de près d’un quart (23%) rien qu’au premier semestre 2023, d’après une enquête diligentée par La Forêt France en juillet 2023.
Avec un taux d’endettement des ménages qui est passé de 33% du PIB en 2000 à 68% en 2020, la dépendance aux crédits bancaires est toujours plus importante. Selon l’économiste Marc Touati, « les acquéreurs se retrouvent coincés dans un piège particulièrement douloureux et dangereux : flambée inflationniste, remontée des taux d’intérêt, affaiblissement de l’activité, risque de retour de la récession et de remontée du chômage ». Dès lors, la capacité de se projeter est compliquée… encore plus dans le cadre d’un projet immobilier.
La preuve en est avec l’indice Insee de confiance des ménages. Il s’est littéralement effondré ces dernières années. Pour l’économiste, également président du cabinet ACDEFI, « dans ce contexte, il est malheureusement clair que les prix de l’immobilier vont continuer de baisser sur l’ensemble du territoire national ». Cela ne profitera donc ni aux acteurs traditionnels, ni aux start-ups de la PropTech qui se sont évertuées à réinventer l’intégralité de la chaîne de valeur immobilière grâce à la technologie.
De 2014 à 2021, grâce au doublement de la part de l’investissement locatif dans l’immobilier, les entreprises de la Fintech ont largement profité de la croissance du secteur. L’investissement immobilier a ainsi pu se structurer en toute sérénité autour de la « Deeptech/R&D intensive », qui regroupe le développement de nouveaux matériaux, la robotique et le deep learning. L’autre dimension exploitée était plus sociétale, axée notamment sur les problématiques d’accession à la propriété.
En 2020, le réseau PropTech House recensait plus de 2.900 jeunes pousses dans le secteur immobilier au niveau européen. En 2022, des levées de fonds record de 465 millions ont été atteintes. Mais l’étude publiée à la mi-septembre 2023 par l’institut d’études sectorielles Xerfi a confirmé certaines inquiétudes. Le changement de conjoncture et la fragilisation des acteurs traditionnels de l’immobilier et du BTP ont automatiquement engendré une baisse des engagements financiers en faveur des entreprises de la PropTech. L’enquête diligentée par Xerfi sur les PropTech face au retournement des marchés immobiliers démontre que la hausse des taux d’intérêts renchérit aussi le coût de leur financement. En effet, celui-ci s’opère principalement grâce aux crédits bancaires, mais pas uniquement. Comme toutes les jeunes entreprises qui veulent approfondir leur politique de R&D et élargir leurs équipes commerciales, les PropTech peuvent se plier au jeu des levées de fonds. Cela reste fortement conseillé pour franchir toutes les étapes nécessaires et réussir à se tailler une part du marché.
Un certain nombre de startups du secteur ultra-valorisées jusqu’en 2020 ont connu une croissance fulgurante au cours de la décennie passée, et ont donc été en hypercroissance. Après les AirBnB, valorisé à 100 milliards de dollars en 2020, WeWork et ses 47 milliards en 2019, Zillow (10 milliards en 2020) et Redfin (2,6 milliards en 2018), nous avons sans doute assisté en 2023 « à la fin de l’hypercroissance sur ce marché », selon Cyril Ferey, Partenaire opérationnel chez I&S Adviser. Pour lui, « il est en effet courant que la dynamique s’érode à un moment donné comme cela s’est passé dans l’IT (Technologies de l’information), la biotechnologie ou encore le commerce en ligne ».
Concurrence aidant, un certain nombre de propotechs risquent de ne pas parvenir à changer de modèle économique. On peut citer l’exemple de la proptech montpelliéraine LKSpatialist, qui avait développé un outil numérique de prospection foncière à destination des promoteurs, et qui a été liquidée au printemps 2022. Après avoir surfé sur le succès grâce à son logiciel dédié à la prospection foncière et à l’aménagement urbain, l’arrivée de nouveaux acteurs lui a été fatal.
Mais pour Thomas Reynaud, le patron et co-fondateur de Garantme − proptech qui se porte caution pour les locataires sans garant et sécurise ainsi le processus de gestion locative −, l’inquiétude n’est certainement pas de mise : « Les acteurs dont le modèle économique est fragile ont toujours un avenir grâce à la consolidation du secteur qui va s’opérer, mais à une condition : avoir produit des innovations technologiques qui ont un impact sur la chaîne de valeur et qui sont pertinentes pour les acteurs établis, ou des startups plus matures. ».
Dans l’écosystème actuel qui doit nécessairement se renforcer, les fusions-acquisitions peuvent jouer un rôle déterminant. Selon le directeur des études de Xerfi, Vincent Desruelles : « Les proptechs leaders sur leur segment et dont le modèle a déjà été validé par le marché seront à l’offensive, avec pour objectif d’étendre leur périmètre d’intervention, de bénéficier de synergies commerciales ou encore d’offrir à leurs clients une brique technologique supplémentaire. ».
Pour accompagner son essor, la PropTech hexagonale peut aussi compter sur le soutien des pouvoirs publics. Début 2023, à l’occasion d’un point d’étape du plan d’investissement France 2030 lancé en 2021, le gouvernement français a annoncé une rallonge budgétaire de 500 millions d’euros destinée aux jeunes pousses issues de la recherche.