Unanimement condamnées par le passé, les recherches liées à l’extension de la vie sont encore fortement critiquées, même au sein de la communauté scientifique. Cela n’a pas empêché le développement de recherches exploratoires au cours des vingt dernières années. Ainsi, de nombreuses startups de biotechnologie ont relevé le défi de faire advenir ces espoirs d’immortalité, grâce notamment à la pharmacologie anti-âge.
Les solutions technologiques en vue d’inverser le processus de dégénérescence cellulaire et stopper la sénescence, à savoir la lente dégradation des fonctions vitales, semblent encore impossibles à trouver. En effet, cela exige de recourir à des champs scientifiques complexes qui vont de la nanotechnologie au clonage, en passant par la nanomédecine, le génie génétique et même le « mind upload », c’est-à-dire le transfert de l’esprit humain dans une machine.
Cependant, un véritable écosystème de la longévité a émergé ces dernières années. Il est en plein essor grâce aux nombreux traitements proposés dans les cliniques privées. Il y a, par exemple, l’hypoxie qui teste les effets d’une restriction en oxygène sur l’organisme. La cryothérapie qui est un traitement par le froid est aussi très répandue.
Selon le cabinet Allied Marker Research, en 2020, le marché de la longévité s’élevait déjà à 25,1 milliards de dollars et il devrait atteindre près de 45 milliards de dollars d’ici 2030. Avec un taux de croissance annuel de 6,1%, les acteurs de ce marché semblent avancer dans la bonne direction. Et pour Raymond Kurzweil, ancien de Google et futurologue plutôt respecté dans le milieu scientifique, « l’immortalité humaine est plus proche qu’on ne le pense ». Dans son ouvrage paru il y a près de 20 ans et intitulé « The Singularity is Near », il prédisait qu’à l’horizon 2030 la technologie nous offrirait cette immortalité. Il expliquait aussi que « les avancées technologiques convergentes finissent toujours par provoquer un emballement au-delà duquel le progrès ne sera permis que par des IA bien plus intelligentes que l’espèce humaine ». Le futurologue annonce ce basculement pour 2045. Mais pour lui, dès 2030 on pourra développer des technologies afin de soigner toutes les maladies et inverser les effets du vieillissement.
Flairant le bon filon, les investisseurs commencent à affluer. En 2021 déjà, Jeff Bezos, Yuri Milner et d’autres milliardaires ont créé la start-up Altos Labs chargée de trouver la clé de l’immortalité. Dédiée à la reprogrammation cellulaire, une méthode de génie génétique, la jeune entreprise a réussi à s’attacher les compétences de deux illustres scientifiques espagnols, Manuel Serrano et Juan Carlos Izpisua. Ils ont certes été séduits par des salaires annuels de plus d’1 million de dollars, mais plus encore, par la promesse de budgets exorbitants et par une autonomie que seul le secteur privé peut offrir.
Du côté de la communauté scientifique française, on est convaincu depuis longtemps qu’il est plus judicieux de se concentrer sur le vieillissement plutôt que s’attaquer à ses nombreuses pathologies. Pour preuve, une étude publiée dans la revue américaine Health Affairs, en 2016, démontre que les recherches pour retarder le vieillissement seraient un excellent investissement de santé publique. Bien meilleur que de concentrer tous les moyens de la recherche médicale sur le cancer et les pathologies cardiaques. Selon les auteurs de cette étude, même avec une réussite modérée dans le domaine, cela permettrait à 12 millions supplémentaires d’Américains du troisième âge d’être en bonne santé à l’horizon 2060, « soit beaucoup plus que ne le permettraient les scénarios les plus optimistes quant à de nouvelles avancées contre le cancer et les maladies cardiaques ».
Mais dès aujourd’hui, pour le bonheur de certains, l’immortalité numérique est accessible grâce aux outils d’intelligence artificielle. Ainsi, par exemple, l’écrivain Joshua Barbeau communique avec sa fiancée décédée en 2011 par l’intermédiaire d’un chatbot qu’il a lui-même configuré en 2021.
En France, les ressources financières consacrées à la recherche sont beaucoup moins élevées que celles dont bénéficient les laboratoires aux États-Unis. Comme en témoigne un directeur de recherche à l’Inserm, Jean-Marc Lemaître, « des collègues américains, mais aussi de jeunes doctorants français ont déjà rejoint Google ces dernières années ». De plus, les débats éthiques provoqués par le transhumanisme constituent un obstacle de taille pour tous les acteurs du monde de la recherche.
Pour résumer la difficulté de leur questionnement, on peut citer le philosophe Marc Alpozzo dans son ouvrage intitulé « Seuls – Éloge de la rencontre » : « On ne peut agir sur le corps de l’homme sans d’abord penser une bioéthique, ce qui est indispensable pour penser les limites de l’intervention médicale et sauvegarder la dignité de l’homme ». Jean-Marc Lemaître ajoute : « En France, les recherches sont menées par des organismes publics de santé, et l’objectif affiché est de réparer l’homme, pas de l’augmenter ». Mais Elon Musk et consorts ne se posent qu’une seule question : jusqu’à quand ?