Actuellement, la majorité de la population mondiale vit en milieu urbain. Cela devrait s’accentuer à l’horizon 2050, notamment en Europe. L’extension des zones urbaines charrie son lot d’impacts néfastes : pollutions visuelles, sonores, de l’air et de l’eau. Pour les limiter, le GIEC et l’IPBES ont analysé les effets positifs des expositions aux environnements naturels et aux espaces urbains « verdis » sur les fonctions cognitives et la santé mentale.
Au niveau mondial, 55% de la population est aujourd’hui citadine. Selon les experts du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), on devrait atteindre les 85% rien qu’en Europe à l’horizon 2050 [1]. Le GIEC produit depuis 1988 de nombreuses études analysant l’impact des activités humaines sur l’environnement. En complément, la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) examine l’exposition aux environnements naturels (espaces verts ou aquatiques) et aux espaces urbains « verdis » (parcs et jardins) et ses effets bénéfiques sur la santé mentale des citadins [2]. Créé en 1992 cet organisme intergouvernemental souligne le défi majeur actuel : maintenir et surtout améliorer les contributions favorables de la nature sur la vie citadine. L’IPBES a pour vocation de construire des synergies entre les connaissances scientifiques et de terrain et les décideurs dans le but d’optimiser ces « services écosystémiques ».
L’IPBES a ainsi produit une étude sur une expérience menée avec des étudiants comparant les expositions à des environnements urbains, dénués de verdure, avec les expositions à la nature. Une marche de 50 minutes dans le parc de leur université améliorait leurs capacités attentionnelles et leur mémoire de travail. Idem avec une simple exposition de 10 minutes à des images « vertes » non urbaines. Même de courte durée, l’exposition à la nature entraîne donc des conséquences positives sur la qualité de vie.
Des bénéfices cognitifs et affectifs d’une marche dans la nature chez des adultes dépressifs ont été prouvés par d’autres expériences menées dans l’étude de l’IPBES. Les mêmes avantages sont apparus chez des enfants hyperactifs ayant un trouble de l’attention. Chez des personnes âgées, une simple présentation d’images de la nature a suffi pour améliorer leur humeur. En outre, ces effets positifs ne semblent pas seulement liés aux contenus visuels de scènes naturelles. Il a été démontré que de brèves expositions à certains bruits ou odeurs de la nature produisent des bienfaits identiques.
Selon le neurobiologiste Robert Jaffard, spécialisé dans l’étude de la mémoire, « grandir dans un environnement urbain dépourvu d’espaces verts est associé à un risque accru de plus de 50% de développer des troubles psychiatriques ». Pire, l’incidence de la schizophrénie, pouvant engendrer des troubles de la mémoire, peut être doublée. Suivant l’expert, les possibilités d’exposition et d’accès à des espaces verts urbains réduisent significativement ces risques. Il a également été constaté une conséquence inattendue de l’éloignement entre la résidence et l’espace vert le plus proche. Plus la distance est grande, plus les risques de dépression et d’anxiété s’accroissent. En outre, la diminution de ces risques est significative en cas de déménagement dans une résidence plus verte. Inversement, il y a augmentation des risques en cas d’emménagement dans un logement situé en milieu urbain après avoir quitté un habitat situé à proximité d’espaces verts.
Des études menées sur les enfants ont démontré tout l’intérêt de la luxuriance de la végétation dans le domaine de la réussite scolaire. Un indice de végétation (IV) élevé améliore grandement leurs capacités d’apprentissage de la lecture et du calcul. Leurs mémoires visuelle et auditive en profitent tout autant. Ainsi, les progrès accomplis dans le cadre de leurs apprentissages durant une ou plusieurs années sont flagrants. Selon une étude espagnole, le développement cognitif d’enfants de 7 à 10 ans dépend du niveau de l’IV aux alentours de leur domicile et surtout de leur école [3]. Les tests cognitifs utilisés pour le suivi de ces enfants sollicitent des zones cérébrales particulières. Les auteurs de l’étude ont ainsi décelé une corrélation évidente entre l’accroissement du volume de certaines structures cérébrales, dont le cortex préfrontal, et l’exposition durable à des espaces verts.
En définitive, vivre durablement dans des espaces résidentiels verdoyants s’avère bénéfique pour la croissance des enfants et le maintien des fonctions cognitives des adultes. De plus, cela protège de la détérioration des fonctions cérébrales due au vieillissement. Dans l’aménagement des zones urbaines, assurer une densité d’espaces verts plus importante autour de chaque habitat est devenu essentiel, estime Robert Jaffard. Les bienfaits d’une exposition prolongée à la nature vont au-delà des contacts sensoriels. La végétation améliore aussi la qualité de l’air ambiant en réduisant les niveaux de certains polluants et leur impact négatif sur le fonctionnement cérébral. L’activité physique a depuis longtemps prouvé ses avantages sur l’ensemble des fonctions cognitives. La pratique dans un « environnement vert » d’activités physiques comme le vélo, la marche, la pêche, le canoë, le cheval ou même le jardinage, intensifie les bienfaits de la nature sur la santé mentale et la cognition. Autre point positif, la cohésion sociale s’en trouve renforcée. Pour conclure, le neurobiologiste constate : « notre attrait inné pour la nature et l’effet gratifiant engendré par son contact ont probablement un rôle primordial dans les effets bénéfiques observés ».
[1] 6e Rapport du GIEC publié en mars 2023
[2] Rapport de l'évaluation mondiale de la biodiversité et des services écosystémiques
[3] L’étude espagnole a été réalisée sur plus de 2500 écoliers dans 36 écoles. Les conclusions ont été publiées dans la revue scientifique américaine Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America (PNAS).