Entre le lancement de nouvelles plateformes françaises et l’investissement dans des séries originales, les grands groupes audiovisuels sont en pleine mutation. Une transformation nécessaire, s’ils souhaitent ne pas être totalement oubliés au profit de Netflix.
Netflix se targue encore d’une année record. Même si la plateforme de streaming se voit con-currencée par Disney +, Amazon Prime, HBO Max ou encore Paramount +, elle affirme sa posi-tion de leader incontesté en matière de la SVOD (service de vidéo à la demande) en 2023 avec 33,7 milliards de dollars (31,4 milliards d’euros) de chiffre d’affaires. Ses revenus sont en hausse de 12,5% sur un an avec un total de 260 millions d’abonnés payants dans le monde, soit 30 millions de plus qu’en 2022. Dans le même temps, l’action en Bourse du leader améri-cain explose (+ 150 %). Rien ne semble pouvoir fragiliser son ascension. Son succès repose désormais sur trois piliers : une formule d’abonnement avec publicité et le retrait progressif des offres sans pub (déjà 23 millions d'inscrits aux offres avec pub dans le monde) ; la traque aux comptes partagés et la hausse de son prix d’abonnement. En France, il faut ainsi compter entre 5,99 euros et 19,99 euros par mois pour profiter du catalogue de près de 4.300 films, séries, documentaires et dessins animés.
L’hégémonie de la plateforme de Reed Hasting pousse les acteurs de l’audiovisuel français à se renforcer à leur tour. TF1 vient de lancer en janvier 2024 une plateforme de SVOD : TF1 + entiè-rement gratuite avec une formule sans publicité proposée au prix de 5.99 € par mois, elle se présente pour l’instant comme un simple prolongement de la chaîne. Outre la création de Top Info, une émission de décryptage de l’actualité, TF1 + mise davantage sur l’accessibilité avec la possibilité d’être présente sur toutes les box internet et sur l’écran d’accueil de certaines télés connectées. De plus, la plateforme vient de lancer en mars une nouvelle fonctionnalité, Syn-chro, qui permet de recommander des programmes en fonction des goûts des personnes qui utilisent la plateforme dans un foyer afin de réunir les familles devant un seul et même écran. Cette technologie est développée grâce à l’intelligence artificielle. De son côté, M6 lance en mars 2024 sa plateforme : M6 +. La chaîne joue elle aussi la carte de la gratuité et de l’information avec un journal décalé, réalisé avec le Gorafi, proposé sur la plateforme ainsi que plus de 300 films et 11.000 heures de séries produites par Disney, CBS, Sony ou encore Para-mount.
Cette transition semble être un passage incontournable pour les deux groupes audiovisuels. Selon les données de Médiamétrie, au premier semestre 2023, 35 % des formats longs vision-nés par les 25-49 ans l’étaient à la demande, contre 19 % en 2019. Cette part pourrait at-teindre, toujours selon Médiamétrie, les 50 % en 2027. Le cabinet BearingPoint France constate de son côté en juin 2023 que 63% des Français ont accès à Netflix (61% en 2022), contre 49% pour Amazon Prime Vidéo (43% l’an dernier). De son côté, Disney + atteint les 27%, contre 22% en 2022, passant devant Canal+ qui chute à 24% (contre 27% en 2022). Le budget moyen des ménages est estimé à 42 euros par mois pour ces plateformes.
La force de Netflix réside dans les films et séries qu’elle propose. La firme américaine s’engage, depuis février 2022, à investir 4 % de son chiffre d’affaires annuel en France dans le 7e art en apportant au minimum 30 millions d’euros dans 10 films. Une somme à laquelle il faut ajouter les 160 milliards d’euros par an de production de séries, documentaires et autres longs-métrages directement diffusés en streaming, produits par la plateforme en France. De quoi réaliser des films et séries françaises qui cartonnent auprès du grand public comme Anthracite, lancée en avril dernier, ou Furies. Sur ce segment, Canal + et ses séries originales apparaît comme le concurrent sérieux de Netflix avec des productions à succès comme la série D’argent et de sang de Xavier Giannoli qui cumule 25 millions de visionnages, ou encore La fièvre. TF1 et M6 ne comptent pas être en reste. M6 vient ainsi de lancer Brigade anonyme, avec un casting 5 étoiles (Éric Cantona, Marilyn Lima, Arié Elmaleh et Héléna Noguerra) depuis mars 2024. TF1 réalise de son côté une adaptation du célèbre manga Cat’s Eyes, déjà acheté en Belgique et en Suisse avant même sa diffusion en France. Cette série est coproduite avec Amazon Prime.
La rivalité entre les plateformes américaines et les grands groupes audiovisuels français s’estompe d’année en année. En 2024, Canal + et Netflix ont reconduit un accord de diffusion en France et en Pologne. Depuis 2019, les deux entreprises marchent main dans la main, per-mettant ainsi à Canal + de diffuser certains de ses programmes sur la plateforme. TF1 et Netflix ont également signé un accord en 2019 autour du préfinancement de la série événement Le Bazar de la Charité. Une stratégie qui s’avère bien plus profitable pour le secteur, que la tenta-tive de concurrencer la firme américaine à travers le lancement de la plateforme Salto en oc-tobre 2020. Ce « géant » français réunissait les groupes TF1, France Télévisions et M6, pour mutualiser les contenus diffusés par les chaînes et proposer de nouveaux films, émissions et séries originales. Mais les 135 millions d’euros investis à l’année par les actionnaires de Salto n’ont pas suffi et en 2023, la plateforme a disparu.
La puissance du trublion américain est forte en France. Ainsi, Netflix est même parvenue, par son succès, à faire bouger la chronologie des médias dès 2022. Auparavant, les chaînes de-vaient attendre 30 mois pour diffuser un film sorti au cinéma, mais le délai a été raccourci de-puis le mois de février 2022. Désormais, un film sorti en salle peut être diffusé au bout de 6 mois sur Canal + (au lieu de 8 mois), de 15 mois sur Netflix (ai lieu de 36 mois), de 17 mois sur Amazon Prime et Disney (contre 36 mois) et de 22 mois sur les chaînes gratuites (contre 30 mois auparavant).